Dossier « Les activités physiques et le bien-être dans l’entreprise ont-ils un effet sur ses résultats ? »

Interview  de Bernard de Montmorillon,

Professeur à l’université Paris Dauphine, Directeur du Master RH en formation initiale.

 

La question du bien-être en entreprise est un sujet qui est vraiment d’actualité. Je regardais cet après midi le baromètre des risques publié par la CGE-CGC et les résultats sont très impressionnants. L’enquête a dû être faite à la fin de l’année dernière, et on voit qu’aujourd’hui, un tiers des cadres Français considère que leur niveau de stress est situé entre 8 et 10 (sur 10). Ce score n’a jamais été aussi élevé depuis que ce baromètre existe c’est à dire depuis 2002.
…Et du reste au passage, ce qui m’a beaucoup intrigué : on s’aperçoit que les métiers où le niveau de stress est un des plus faibles sont les métiers de l’industrie et celui où il est le plus fort est celui des services aux entreprises et de l’informatique. Cela pose en effet la problématique du bien être dans l’entreprise et de la dynamique de sa performance.

Le concept du bien-être est ancien. Dans les années 80-90, il y a déjà beaucoup sur la question de la qualité de vie au travail ou sur le bien-être au travail. Les travaux qui ont été faits à cette époque sont arrivés à un constat toujours pertinent qu’évidemment le bien-être est d’abord un ressenti avec donc une forte dominante psychologique.

Il y a 3 dimensions qu’il faut retenir lorsque l’on parle du bien-être :
1. Une dimension individuelle qui peut se traduire par « je suis bien dans ma peau ».
2. Une dimension organisationnelle qui peut se traduire par « est-ce que je suis bien dans l’entreprise où je travaille» ?
3. Une dimension sociale : est-ce que les réseaux auxquels j’appartiens dans l’entreprise et en dehors de l’entreprise me valorisent ?
Ces 3 dimensions restent, à notre époque, tout à fait pertinentes.
Ensuite, notre société en a un petit peu moins parlé mais depuis deux ou trois ans, la question du bien-être au travail, notamment au travers du stress, revient sur le devant de la scène à la suite de quelques évènements malheureux intervenus dans de grandes entreprises Françaises.

Pour aller un peu plus loin, je voudrais faire état d’une étude qui a été menée par une étudiante du Master des Ressources Humaines qui est un bon master de l’université Paris Dauphine. C’est l’étude faite en 2010 par Aurélia Poirier-Coutançais qui s’est interrogée sur la définition du bien-être au travers d’une enquête menée dans l’entreprise où elle travaille. Elle arrive à quelques résultats assez simples qui sont très révélateurs notamment que le bien-être est une perception du travailleur dans son rôle dans l’entreprise avec 5 thèmes qui ressortent et qui ne sont pas en contradiction avec les études précédentes :
1. Le bien-être est lié au contenu du travail puisqu’un travail intéressant favorise le bien-être et un travail fastidieux et répétitif aurait tendance à l’empêcher.
2. Le bien être est associé à un travail qui permet de progresser et d’avancer dans sa carrière professionnelle.
3. La vie au travail est d’autant mieux valorisée que l’on se sent utile. La question du sens est très souvent reprise et le baromètre dont je faisais état tout à l’heure met l’accent sur la perte du sens de l’activité dans l’entreprise ou la perte du sens du travail.
4. Le quatrième thème de l’étude est relatif à la bonne ambiance de travail.
5. Et enfin, le bien-être est également tributaire de l’autonomie.
Au passage, on voit que l’activité physique et sportive n’est pas au cœur de ces thèmes. Probablement parce qu’elle l’est en amont.

Pour prolonger ces remarques, il y a eu un rapport très intéressant auquel je renvoie le public sur le bien-être et l’efficacité au travail. Ce rapport a été commandé en 2009 par le premier Ministre François Fillon et a été mené par Christian Larose, CGT, président de la Section du Travail du Conseil économique, social et environnemental, Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, et Muriel Pénicaud, directrice générale des ressources humaines de Danone.
Ils arrivent à toute une série de préconisations que je vous livre rapidement :
1. Il faut donner aux salariés les moyens de se réaliser dans leur travail.
2. Il faut impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé.
3. La mesure de la santé psychologique des salariés est une condition de son amélioration.
4. Préparer et former les managers au rôle de manager doit faire partie intégrante de leur formation initiale.
5. Tout projet de réorganisation ou de restructuration doit mesurer l’impact et la faisabilité humaine du changement.
6. La santé au travail ne se limite pas aux frontières de l’entreprise, qui a un impact en particulier sur ses fournisseurs.
7. La détection et l’accompagnement des situations de stress sont une nécessité.

Les trois dernières remarques me semblent importantes pour lancer le débat qui nous anime :
8. La santé physique et psychique des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne s’externalise pas. Et donc si le sport y contribue, la question relève de la responsabilité des managers.
9. L’implication de la direction générale, du conseil d’administration et des managers est indispensable. Ce sont les managers qui sont à l’origine du sentiment de bien-être au travail et ce sont eux les principales chevilles ouvrières de ce bien être au travail. Peut-être, les managers doivent-ils faire du sport avec leurs collaborateurs c’est du reste une remarque souvent faite par les gens qui travaillent sur la culture d’entreprise, en tout cas ils sont responsables du climat de leurs relations avec ces collaborateurs.
10. Il ne faut pas réduire le collectif de travail à une addition d’individus. C’est le collectif au travail qui détermine le bien-être et au delà, la qualité de ce collectif au travail détermine la performance collective.

Question: Monsieur de Montmorillon, pouvez-vous nous dire si la question du bien-être dans l’entreprise sera-t-elle plus aigüe par temps de crise ? Y a-t-il une corrélation entre le bien-être et une crise économique, en d’autres termes doit-on d’autant plus se sensibiliser au bien-être que l’entreprise traverse une crise ?

Réponse du Professeur : Il me semble que la réponse à la question est oui à l’évidence mais par le biais de la montée du stress qu’on ne peut pas nier. Dès lors que le mal-être psycho-social devient une évidence, la préoccupation des DRH ne peut qu’en tenir compte et la réflexion sur les moyens pour maîtriser ce stress, pour prendre en charge la santé physique et psychique des salariés devient une grande question de management. On peut dire que lorsque l’entreprise va bien, la santé physique et surtout psychique des Collaborateurs n’est pas au centre des débats. Par contre quand les choses sont plus compliquées, il est évident qu’on doit s’en préoccuper.

Les DRH que je rencontre sont très sensibles à cette question et le sport entre dans cette réflexion et dans les panoplies mobilisables.

Source : « L’agora du Sport », université Paris Dauphine – Février 2012

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